Leçon publique lors de la cérémonie de son élévation au grade de docteur honoris causa en pédagogie.

CHAPEAU INTRODUCTIF

Le samedi 19 décembre 2009, le Professeur Michel KIKA MAVUNDA, alors Recteur de l’Université de Kinshasa, avait élevé au grade de Docteur Honoris Causa en Pédagogie le Père Martin EKWA bis Isal, prêtre congolais de la Compagnie de Jésus.

Comme nous le savons tous, de la même manière qu’on ne naît pas chrétien, de la même manière on ne naît pas Docteur Honoris Causa. On le devient  par le truchement d’un cérémonial approprié.   Etre nommé Docteur Honoris Causa, ou Docteur Honorifique selon la terminologie canadienne, d’une Université  ou d’une Faculté est une marque de distinction, une reconnaissance, un témoignage éloquent d’une estime certaine, d’une grande considération et ce, à la suite d’un rayonnement exceptionnel du récipiendaire dans un domaine particulier  ou de son implication dans une ou plusieurs sphères d’activités d’une communauté.

Sans nul doute, de remarquables réalisations du Père Ekwa sur le plan scientifique et politique lui valent la considération de la Nation et l’estime de la communauté internationale. Sur proposition de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, consciente de l’immense œuvre de l’homme, l’Université de Kinshasa l’a élevé au rang prestigieux de Doctorat Honoris Causa.

Le P. Ekwa est de la lignée de ces âmes bien nées dont la valeur n’a pas attendu le nombre des années qu’il porte d’ailleurs allègrement aujourd’hui.  Né le 25  décembre, le jour où les chrétiens fêtent la naissance de Jésus Christ, le Père Martin fut ordonné prêtre dans la Compagnie de Jésus en 1958. C’est à 33 ans, le 7 octobre 1960, 3 mois et quelques jours après l’Indépendance, que l’Episcopat de notre pays lui confie les fonctions de Président du Bureau National de l’Enseignement Catholique (BEC).  Il prit en mains, comme il le dit lui-même,  le plus important réseau d’enseignement catholique  en Afrique, au moment où le pays était aux prises avec des difficultés insoupçonnées, sur le plan administratif, pédagogique et juridique.  Il est resté chef de l’enseignement catholique de la RD-Congo de 1960 à 1974. A ces fonctions nationales s’ajoutèrent, en 1966, celles de Secrétaire Régional de l’Enseignement Catholique pour l’Afrique et Madagascar.

De 1960 à 1965, le Père Ekwa  se lança dans de grandes réformes de notre système éducatif vidé du corps enseignant belge, contraint de quitter le pays, au lendemain de l’indépendance. Les réformes juridique et pédagogique  donnèrent au système éducatif un nouveau visage, au pays un rayonnement inattendu. L’Enseignement National mit fin à la guerre scolaire discriminatoire, importée de la Belgique. La justice scolaire rétablie installa la paix. La réforme pédagogique menée avec les responsables des autres réseaux  de l’enseignement, officiel, protestant, kimbanguiste et avec l’appui de l’Université Lovanium de Léopoldville (actuelle Université de Kinshasa) hissa notre système éducatif au rang des plus modernes systèmes scolaires du monde. Les écoles secondaires virent le jour dans toutes les missions (paroisses) et dans presque  tous les centres urbains importants du pays.

 De l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur et universitaire en passant par l’enseignement secondaire, le Père Ekwa a introduit des réformes audacieuses d’organisation et de gestion  du système éducatif que notre pays ne remettra plus jamais en cause, du moins pour l’essentiel. En Occident, lorsque J. J. Rousseau se mit à exalter la bonté native de l’enfant et  lorsque le siècle du vieillard, le 19ème siècle dit en psychopédagogie siècle de la gérontologie,  céda le pas au siècle du pédocentrisme qui est le 20ème siècle que l’on qualifie en sciences de l’éducation de siècle de l’enfant, toutes  les personnes avisées ont parlé de la Révolution Copernicienne en éducation. Mutatis mutandis, au regard du mouvement de réformes des années 1960 mises en place par le P. Ekwa qui fondent notre système éducatif,  il ne me semble pas erroné de parler de la « Révolution Ekwaïste du Système Educatif »  en République Démocratique du Congo.

Les faits saillants de cette révolution sont :

  • Abolition du latin et du grec dont la connaissance était la condition sine qua non pour l’admission aux Facultés de Médecine et de Droit ;
  • Introduction dans les programmes scolaires de littérature des textes d’auteurs africains à côté de ceux d’Européens qui, jusque-là, étaient les seuls ou du moins avaient le monopole dans les manuels scolaires de français ;
  • L’accès des filles aux filières d’études au niveau secondaire, supérieur et universitaire réservées aux seuls garçons ;
  • L’essaimage rationnel des Ecoles Normales Moyennes, les actuels ISP, pour la formation des enseignants du degré inférieur des écoles secondaires ;
  • L’introduction de l’anglais comme seconde langue étrangère après le français dans toutes les sections du secondaire ;
  • La conversion des deux premières années secondaires en Cycle d’Orientation dont on a pu compter les premiers diplômés en 1967. Le but du Cycle d’Orientation était la maîtrise du français et l’approfondissement des mathématiques pour les études suivantes.  Pour rappel, cette réforme de l’enseignement secondaire fut instituée par  l’Ordonnance présidentielle 53 du 17 juillet 1961.

 L’expertise du Père  Ekwa ne soulève aucun doute.  Elle est reconnue tant par la Nation qu’au niveau international, comme le montrent, à titre indicatif, les multiples fonctions qui lui ont été confiées et qu’il a remplies avec grande distinction. En effet, il a été  Membre de la Commission Constitutionnelle de Luluabourg en 1964, Secrétaire Régional de l’Enseignement Catholique d’Afrique et de Madagascar de 1966 à 1980, Secrétaire Général de l’Office International de l’Enseignement Catholique de 1975 à 1983, Secrétaire Général du Centre Chrétien pour Dirigeants et Cadres d’Entreprises au Congo (CADIDEC) de 1983 à 2010, Président de la Commission de l’Education de la Conférence Nationale Souveraine en 1990, Rapporteur Général des Etats Généraux de l’Education en 1996,  Conseiller de la Sacrée Congrégation de l’Education Chrétienne du Ministère de l’Education du Vatican, Aumônier du Roi et de la Reine des Belges lors de leur séjour au Congo en 1970, etc.

Les autorités académiques de l’Université de Kinshasa avaient bien réalisé l’importance de l’apport du Père Ekwa à la Nation Congolaise, particulièrement dans le domaine de l’éducation.  Aussi décidèrent-elles de lui décerner pour « sa contribution significative à la réforme du  système éducatif national » le titre de Docteur Honoris Causa.

La reconnaissance des mérites de son œuvre et de son expérience a franchi les frontières nationales. Du Royaume de Belgique, de la République Fédérale d’Allemagne à la République Française, le Père Ekwa, a reçu, en plus de son titre de Commandeur de l’Ordre National du Léopard acquis en RDC en 1985, de multiples décorations témoignant de l’activité merveilleuse du Jésuite Ekwa. Lors de la cérémonie d’hommage organisée en son honneur le 29 mai 2010,  Didier Mumengi, Ministre Honoraire que nous citons de mémoire et qui avait la charge de prononcer l’éloge du précité l’a présenté comme  éducateur et  formateur des  cadres des entreprises.

Lors de la cérémonie de remise des  insignes de doctorat, le Père Martin  Ekwa bis Isal a prononcé,  un magnifique discours, sous forme d’une belle leçon publique,  à maints égards interpellatrice,  que nous  avons l’honneur de reprendre à l’intention de nos lecteurs. Que l’auteur nous permette d’être d’un avis différent du sien, lorsqu’il dit «  Je ne suis pas un citoyen exceptionnel ». Il n’est pas nécessaire d’être perspicace, nous venons de le voir, pour se rendre compte que le Père  Martin Ekwa bis Isal est une personnalité hors du commun. Nous savons qu’il est devenu Président du Bureau National de l’Enseignement Catholique à 33 ans. Nous savons aussi qu’il lui incomba la responsabilité de mettre concrètement en application, sur le terrain scolaire, l’article 33 de la nouvelle Constitution élaborée à Luluabourg (Kananga) du 10 janvier au 11 avril 1964, adoptée par référendum organisé du 25 juin au 10 juillet et promulguée le 1er août 1964. L’article 33 de la Constitution appliquée à 33 ans, quelle coïncidence !

  C’est avec ténacité et persistance qu’il soutient que  « le développement d’un pays vient des connaissances, c’est-à-dire de l’esprit et non des matières, fussent-elles précieuses ». Cette conviction, il l’a affirmée et partagée dans ses nombreux écrits, notamment dans  Pour un Enseignement Catholique National 1964 ; Le Congo et l’Education, réalisations et perspectives 1965 ; Pour une société nouvelle, l’enseignement national 1971 ; L’école trahie 2004 et dans La RD Congo contée autrement : jalons pour l’avenir 2012 qui vient de paraître.

Sa présence de 27 ans au CADICEC (Centre d’Action pour Dirigeants et Cadres d’Entreprises au Congo), affilié à l’UNIAPAC (Union Internationale des Patrons Chrétiens) a été riche en publications diverses et variées. Le Père Ekwa  est l’un des Congolais qui aura laissé derrière lui une abondante documentation, particulièrement dans le domaine de l’éducation. C’est une personne hors du commun, un mwana mboka authentique, un grand  pédagogue engagé à la fois dans la réflexion et l’action éducative.

Prof. MBADU KHONDE Léon,

Doyen de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education

2-LECON-PUBLIQUE-DU-R.P.-MARTIN-EKWA-BIS-ISAL-s.j.-LORS-DE-LA-CEREMONIE-DE-SON-ELEVATION-AU-GRADE-DE-DOCTEUR-HONORIS-CAUSA-EN-PEDAGOGIE_2.pdf (62 téléchargements )

 

 

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